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MISRH, atentas

Le temps est venu d’évoquer les "atentas". Tranquille le RG, t’as bien vu l’orthographe... On va causer action directe version potache, du temps du gros ennui, dans le Cinq-Deux, sous-pref, au lycée du pilote.

Indignés par la médiocrité rayonnante qui transpirait par toutes les briques de l’institution locale, Roche et moi avions fondé le MISRH, soit le Mouvement Intellectuel au Service de la Révolution et de l’Homme, comme quoi on peut être très sérieux à dix-sept ans.

Le MISRH, oui, rien que ça. Si le nom de ce mouvement de deux membres avait sans doute un je-ne-sais-quoi d’hyperbolique et d’ampoulé, sa stratégie était fort simple voire naïve. Il s’agissait de libérer l’humanité en commençant par la communauté lycéenne bragarde, placée sous la coupe de Jourdain (alias le barbu, alias le socialiste), proviseur de son état.

Quoique le mouvement ait opté dès sa naissance pour la clandestinité, ses premiers agissements relevaient uniquement de la propagande politique. Il fallait que nos condisciples prissent conscience de leur asservissement et s’en libérassent progressivement au moyen d’actions insidieuses, comme de lancer des petits pois au réfectoire, de graver MISRH sur les tables ou de hurler "nuuuuuuut !" (pour Nutella) dans les couloirs. Il fallait hébéter et consterner l’administration pénitentiaire à moindre frais et sans violence excessive.

Las ! Dès la troisième fournée de tracts habilement insérés dans les cahiers d’appel ou répandus dans les couloirs, le barbu chargea son second, le Sancerre, grand trousseur de secrétaires, de mener la répression. Alors les Commissaires Politiques d’Etablissement, Konia et Galion, entreprirent d’interroger, dans leurs locaux sordides, des élèves raflés au faciès ou connus de leur service pour faits de rébellion.

Cette vile répression conduisit le mouvement à durcir le combat. Exit la littérature de libelles, place aux "atentas" ! Les murs des toilettes, du préau, des couloirs, des abords de l’établissement se couvrir du slogan performatif "ATENTA". D’autres actions anti Ubu furent menées par des recrues imaginatives ; citons entre autres la dispersion de boîtes de peintures à maquette, posées décapsulées sur les sols, afin que les prisonniers n’osant se révolter pussent néanmoins répandre de la couleur en shootant dedans ; tel professeur d’histoire-géo se vit dans l’obligation de revisionner sa collection de documentaires après qu’une scène pornographique eut interrompu une projection somnifère ; tel nimbus de SVT dut renoncer à toute réalisation de potion en classe suite à diverses substitutions de produits... Et tout ça dans un concert d’alarmes incendie déclenchées à tout bout de champ...

Mais un samedi matin, alors que Roche et moi, attendions avec les bagnards de notre classe que Vergeoli veuille bien atterrir de son quartier latin, Konia, Sancerre et Galion nous encadrèrent, nous sommant de les suivre avec nos cartables. Le mien était plein de tracts... On nous emmena chez le barbu. Roche fut introduit en premier. Ce fut ma chance. Resté seul avec l’abominable Konia, je me débrouillai, en une rotation, pour saisir les tracts dans mon sac militaire et me les coller dans le froc. Konia grogna, consciente que j’avais fait quelque chose, saisit mon gourbi, mais n’osa pas me fouiller. Peut-être aperçut-elle une proéminence bizarre sur mon futal, mais cette zone confuse était tellement interdite à cette pauvre femme, qu’elle se garda bien d’approfondir.

Enfin Roche sortit du bureau de Jourdain. Son regard m’apprit que c’était chaud, mais je savais de façon certaine qu’il n’avait pas parlé. Le barbu m’informa tout d’abord que les dernières lois sécuritaires du très corsé Pasqua l’autorisait à fouiller mon cartable, ce qu’il entreprit immédiatement. Très vite, le visage du barbu s’empourpra, d’abord parce qu’il ne trouvait pas ce qu’il cherchait, mais aussi du fait du caractère très décoré de mes feuilles de cours (middle fingers en masse, sirènes à fortes poitrines et crabouillages divers). De guerre lasse, Jourdain me dit simplement qu’ "il voyait que le téléphone arabe avait bien fonctionné" - ce que je ne compris pas sur le coup - et qu’il allait convoquer mes parents. Là, je perdis quelque peu mon sang froid et lui rappelai fermement que j’étais majeur. Mais Jourdain avait tous les droits, et de fait il avait téléphoné la veille à plusieurs familles pour leur conseiller vivement de défendre à leurs enfants de fréquenter les terroristes désormais identifiés - d’où la vanne du téléphone arabe...

Alors je fus bien tenté de lui dire "OK, c’est moi, virez-moi je m’en fous", histoire qu’il laisse mes vieux hors du coup. Mais passer à confesse compromettait également Roche puisque nous passions le plus clair de notre temps ensemble. Alors je sortis dégoûté, sans saluer le kaiser, et quittai le bahut pour aller zoner dans un bar. Lorsque je retrouvai mes parents, je fus surpris de ne pas devoir me lancer dans une pathétique plaidoirie. Mon père m’expliqua que Roche et moi étions exclus une semaine et que nous aurions le droit d’aller passer le BAC ailleurs si jamais nous ne le décrochions pas à la fin de l’année. Jourdain avait également mentionné la possibilité d’une perquisition de la police pour trouver une machine à écrire "qui aurait pu servir à la rédaction des tracts". Bluff ou pas, mon père m’invita à lui rendre la vieille machine qu’il m’avait prêtée afin qu’il la cache... Ma mère était froidement en colère, elle avait trouvé notre littérature pitoyable, sans parler de l’esprit global de la chose, sévèrement qualifié de "mythomaniaque et immature"...

Avec le recul, la chose me fait malgré tout sourire. Sur le coup néanmoins, j’eus essentiellement honte, sentiment partagé par Roche, et nous décidâmes d’obtenir notre BAC pour sortir au plus vite du pénitencier et de la ville crasse qui nous opprimaient. Nous porterions notre rêve humaniste sous des cieux plus ouverts, dans une grande ville où nous n’aurions pas besoin d’agir dans l’ombre. Du reste, nous renonçâmes définitivement au terrorisme et décidâmes de devenir poètes.

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