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Si ce n’est toi, c’est donc ton frère

Soit une grande famille sudiste - grande au sens de richissime et donc puissante. Le père, corrupteur en chef, fricote avec le KKK, la mère boit comme Sue Ellen : que peut-on attendre de la progéniture ? Qu’elle soit dégénérée, forcément. Et bien voilà, c’est ça. Et donc si on découvre le cadavre d’une fille resté vingt ans dans la boue d’une rivière, où va-t-on chercher le coupable ? Dans la famille sudiste, c’est très simple, pas de piège.

Mais évidemment le shériff Gaines, qui a fait le Viêt Nam où il a vécu l’enfer de Dante (nouvelle entrée au Dictionnaire des idées reçues : Enfer. Enfer : toujours dantesque, comprend neuf cercles), ne peut pas tout de suite aller chercher le coupable chez les Ewing étant donné qu’on lui colle sous les yeux un autre vétéran du Viêt Nam, amoureux de la fille morte quand elle était vivante avant la guerre, qui a dû fondre un plomb dans les rizières et qui vit désormais dans un trou à rat sordide sans jamais se laver. Ça ressemble bien à un coupable ça, non ? D’accord, t’as compris, si tu as lu deux polars tu sais bien que celui que c’est forcément lui, et bien ce n’est pas lui. Et ça ne peut pas être lui de toute façon puisque l’aura de la famille riche est évoquée dès le début de façon subtile... Puissants = complot = difficultés à enquêter = coupable à chercher par là.

J’avais un a priori très bête contre Ellory. Il se trouve qu’une ou deux fois j’ai été abusé en voyant de loin une couverture et cru qu’un nouveau Ellroy était sorti alors que non, c’était juste un autre Connelly ou un truc du genre. De l’agacement résultant de la confusion, j’avais conçu une mauvaise opinion d’Ellory ; il m’énervait ce mec qui essayait de se faire passer pour mon auteur favori. Mais un jour on finit quand même par grandir et on teste un Ellory pour voir de quoi il retourne.

Et bien vérification faite Ellory, c’est juste... trop prêt-à-porter. Les personnages sont habillés en personnages, les événements en événements et le contexte est un décor. Tout a déjà été vu. Les dialogues surtout sont décevants : la jeune fille riche et délurée s’exprime comme une jeune fille riche et délurée ; on atteint jamais les personnes, on reste dans les types. Et dès lors, même si le coup de théâtre ou le rebondissement n’est pas forcément un gage de qualité pour un polar, Ellory ne pourrait de toute façon pas en ménager un : une fois dépeints, ses personnages sont figés et agissent mécaniquement, comme des pantins déterminés.

Alors on va au bout quand même, parce que les chapitres sont courts et que Gaines est un personnage sympathique qui a eu son lot et qui mériterait bien de... bon je ne vais pas spoilé mais là non plus il n’y a pas grande surprise. Du reste, elle est bien cette fin, qui fait contrepoint à la philosophie de comptoir du défunt lieutenant Wilson et permet au pacifisme, qui est une idée fleuve du livre, de ne pas rester collé à un pessimisme résigné.

The young believe that bad will be balanced out by the good, and they imagine there are enough years ahead of them to see this happen. The old, having lived all those years, now see it’s the other way around. [1]

R.J. Ellory : The Devil and the river . Orion Books 2013.

[1p.172

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